La facturation électronique : catalyseur de la transformation digitale des entreprises
Actualité : conseil en transformation
La réforme de la facturation électronique, qui entrera en vigueur au 1er septembre 2026, transforme radicalement la gestion des données financières au sein des entreprises. Au-delà de l’obligation réglementaire, cette révolution numérique est une opportunité unique de valorisation des données, encore trop peu exploitées aujourd’hui. Éclairage avec Christophe Sauthon, associé en charge du développement des offres de conseils en transformation et data chez Nexia S&A.
De la donnée brute à l’intelligence stratégique
«Aujourd’hui, nous traitons encore principalement des données non structurées. La facturation électronique va permettre la transition vers des données structurées, dotées de balises qui permettent leur récupération et leur exploitation automatique», explique Christophe Sauthon. Concrètement, une facture PDF actuelle, certes numérisée, demeure difficilement exploitable automatiquement par les systèmes. Demain, chaque facture deviendra une véritable source d’information structurée, alignée sur des formats standardisés définis par l’AFNOR.
La standardisation imposée par la facturation électronique bouleverse également les processus opérationnels des entreprises. Fini le temps des factures PDF envoyées par email ou des systèmes d’océrisation des documents papier (reconnaissance optique de caractères – OCR). Désormais, les entreprises devront mettre en place des workflows structurés entre les services financiers et les opérationnels – acheteurs ou responsables de la facturation client. Cette nouvelle organisation permettra une gestion en temps réel des flux de facturation, depuis leur émission jusqu’au paiement.
Cette standardisation ne se limite donc pas à la simple transformation du format. «Avec la réforme, nous passons aussi d’une logique de données agrégées à des données granulaires, ligne à ligne, permettant d’aller beaucoup plus loin dans l’analyse», souligne l’associé. Ainsi, chaque article, libellé ou référence pourra dorénavant être isolé et analysé finement, rendant la donnée immédiatement utilisable par les systèmes d’information, facilitant une interopérabilité accrue.
La structuration de ces données rend possible une automatisation poussée des processus comptables et financiers, diminuant mécaniquement les erreurs humaines. «La facturation électronique va également imposer la structuration des échanges entre fournisseurs et clients, grâce à des statuts de cycle de vie automatisé», ajoute Christophe Sauthon.
Une mine d’or pour la Business Intelligence
Les milliards de factures générées chaque année représentent une véritable mine d’or en matière d’analyse de données. La data issue de ces factures permet notamment d’affiner la prévision des flux financiers. Avec des dates d’échéance structurées et des statuts de paiement traçables, les entreprises pourront anticiper leurs flux financiers avec une précision accrue. «La gestion de trésorerie sera facilitée. Si l’entreprise sait précisément que telle ou telle facture est en litige, elle pourra l’anticiper et éventuellement décider d’opter pour des solutions de recouvrement ou d’affacturage», indique Christophe Sauthon.
L’intelligence artificielle va aussi se révéler très utile dans l’exploitation de cette data normalisée. «Nous voyons émerger des applications d’IA particulièrement avancées pour la détection automatique de fraude ou tout simplement d’anomalies comme des doublons de factures, des incohérences de TVA, de numérotation, précise l’expert. Par exemple, si vous avez deux factures a priori semblables en tous points mais que le numéro de facture qui y figure n’est pas le même, cela veut dire qu’elle a potentiellement été dupliquée.» Les algorithmes peuvent repérer automatiquement ces dysfonctionnements, réduisant les risques financiers et opérationnels.
Par ailleurs, la performance des fournisseurs et des clients sera analysée plus finement : «On pourra créer des benchmarks sectoriels, identifier des comportements récurrents et même “scorer” automatiquement les clients et fournisseurs selon leur fiabilité», illustre Christophe Sauthon. Concrètement, ce scoring s’appuiera sur l’analyse des délais de paiement, l’historique des litiges et les comportements de règlement. Les entreprises pourront aussi optimiser leurs processus internes en identifiant automatiquement les écarts entre production et facturation ou les prestations non facturées.
Les défis à relever : culture, compétences et interopérabilité
Pour que ces opportunités deviennent réalité, plusieurs défis doivent être relevés. Christophe Sauthon met en avant l’obstacle culturel comme premier frein : «Les collaborateurs devront changer des habitudes de travail ancrées, parfois, depuis de nombreuses années.»
Le manque de compétences pour valoriser la data ensuite, représente un deuxième défi majeur : «L’exploitation de cette mine d’or de données nécessite d’avoir en interne les compétences adéquates», insiste-t-il. Les entreprises doivent donc investir dans la formation de leurs équipes pour l’analyse des données et s’appuyer sur des outils adaptés. Les plateformes de Business Intelligence comme Power BI ou Alteryx jouent à cet égard un rôle central, rendant la donnée accessible à tous les collaborateurs. «Si les collaborateurs ne sont pas accompagnés, à la fois en termes de formation que d’outillage, le risque est que ces compétences restent concentrées dans les mains de quelques personnes, prévient Christophe Sauthon. Chaque collaborateur doit être impliqué pour exploiter ces données et sortir progressivement des tâches de pure production comptable.»
Enfin, sur le plan technique, l’hétérogénéité des systèmes s’avère être un problème : «Il faut que ces systèmes communiquent entre eux : l’outil comptable, l’ERP, le CRM, la plateforme de dématérialisation partenaire – PDP», détaille le directeur associé. L’interopérabilité via des API standardisées devient un prérequis indispensable pour tirer pleinement parti de la réforme.
Vers une transformation des métiers
La réforme va conduire à une transformation progressive des métiers au sein des entreprises. Pour Christophe Sauthon : «Les tâches de production vont évoluer vers des tâches d’analyse. Il ne s’agit pas d’une création massive de nouveaux postes, mais bien d’une transformation des métiers existants vers davantage de réflexion stratégique».
Les équipes seront ainsi amenées à travailler davantage sur l’exploitation des données – pour anticiper, décider et optimiser – plutôt que sur leur simple traitement manuel. L’appropriation de cette réforme par les entreprises conditionnera donc leur capacité à saisir pleinement les nouvelles opportunités.
La facturation électronique va bouleverser les pratiques et offrir une visibilité en temps réel sur la trésorerie. L’enjeu principal reste l’exploitation stratégique de ces nouvelles données structurées. Les entreprises qui anticipent déjà cette révolution de la data, en allant au-delà de la simple mise en conformité réglementaire, prendront un avantage décisif sur leurs concurrents. En transformant leurs processus opérationnels d’achats et de ventes, les entreprises pourront faire de la facturation électronique une opportunité de valeur et non pas une unique contrainte réglementaire.